J’ai répondu avec enthousiasme à l’invitation de Cendres Delort du BaZarNaom ayant conscience que cette résidence se déroulerait pour moi, en tenant compte d’une réalité géographique, sociologique et écologique fort spécifique – une presqu’île – un entredeux contradictoire avec de bâtiments représentants les institutions du pouvoir, urbanisation contemporaine côtoyant les ruines du capitalisme. Cette géographie urbaine est emblématique du phénomène de gentrification. Cette zone inondable aux sols dégradés et pollués est un objet de spéculation. J’y découvre des activités de l’air post-pétrolienne : collectifs d’artistes, travailleurs-ses du sexe et de l’ubérisation sans papier et sans abri, irréductibles.

©Anne-Lise Dehée

Ma résidence se divise en deux phases : le dedans et le dehors. L’équipe du lieu n’a de cesse de m’offrir un accueil chaleureux, un bel espace avec des outils de travail simples et efficaces. Le contraste est puissant avec le dehors, la presqu’île où mon regard ne peut pas ne pas voir toutes ces vies mutilées sous différentes formes de mort sociale.

Quand il y a du soleil sur la presqu’île : exploration du territoire à pied ou à vélo. Je photographie avec une Box Tengor Zeiss Ikon des années 30, avec deux ouvertures possibles et deux réglages de distance. Un loquet me permet de bloquer l’ouverture pour réaliser un calotype sur papier 3 Iso. Une seule prise de vue est possible à la fois.
Matins et jours de pluie : notes et croquis suspendus dans l’atelier. Dessins avec des petits fragments de points, rayures, triangles, carrés, signes et symboles (Letratone, Graftone et Letraset) utiliser à l’origine par ma tante cartographe dans un labo du CNRS à la fac de Caen.
Elle m’avait confiée ces chutes bien avant la chute du mur de Berlin. Elles deviennent la matière de mes dessins sur papier, verre, calque ou rodoïde. Ensuite l’après-midi dans la chambre noire, cela m’amène à questionner l’image, la technique et le geste photographique.

Retrouver l’interview d’Anne-Lise Dehée sur Radio Bazarnaom

©Anne-Lise Dehée

Dans la chambre noire avec ces notes et dessins, je me trouve dans l’étonnure, ce nom rare entre la curiosité et l’étonnement. Avec du citrate d’ammonium ferrique et du ferricyanure de potassium, j’obtiens des tirages photographiques bleus de prusse et cyan. Je récolte des traces subjectives et la lumière grâce à l’action des UV écrit pour faire paysage.
La zone portuaire de Caen est un lieu qui n’existe quasi plus, si je me réfère à la série de photographies analogiques que j’ai faite en 1988, images latentes qui appartiennent désormais à une cartographie subjective et à la latence de mon inconscient. Finalement pendant ma résidence, un retour aux préliminaires de l’univers photographique s’est imposé par une recherche liant un travail sur la matière et la texture en chambre noire.

Anne-Lise Dehée-Aubriot, BaZarNaom, Caen, le 14-XII-2023.

©Anne-Lise Dehée

Sérigraphie et
labo photo argentique

Pièce noire sans fenêtre, avec évier, lumière rouge, table de sérigraphie et labo photo argentique.

Outil co-porté par Voyelles production et Le Bazarnaom, la Chambre noire est principalement destinée aux membres et structures du collectif, et s’ouvre depuis avril 2023 à l’accueil en résidence d’autres artistes.

Pour toute demande :
chambrenoire@bazarnaom.com

©Delma

Productions

Le perpétuel / Sérigraphie sur papier / ©Cendresdelort
Sérigraphie sur textile / ©Cendresdelort
Azul / Sérigraphie sur médium / ©cendresdelort