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🎧 Version audio à écouter sur le site de Radio Bazarnaom. 

Il est terrible le zip, le petit bruit de la fermeture éclair, de la tente du camping des platanes…
Été comme hiver, les dômes de plastique fleurissent dans la boue dans la neige, printemps comme automne, les abris de fortune poussent comme des champignons avec l’humidité du bord du fleuve Orne.
Ici le quartier afghan des Pachtounes, là le coin des Soudanais, à côté le secteur des Roumaines, plus loin la zone des Français.
Au milieu de ce village mondial : un Mongol, seul. Il résiste aux frimas de la saison.

Il est terrible le petit zip, le petit bruit de la fermeture éclair, de la tente du camping des platanes…
13 heures, Oumar le Soudanais sort de sa hutte de nylon. A la main, une masse pour casser du bois de palette. Son collègue veille sur le feu : un trou dans le sol pour tout foyer. La marmite de lentilles mijote.
Je suis assis sur un vieux canapé de jardin PVC, bancal, presque confortable, mais pas trop. On se regarde, on se sourit, on se comprend… mais pas trop. Ils se moquent du toubab. Où que je me déplace, la fumée me traque, me suis, me pique les yeux. Le vent souffle, la marmite chauffe sur le feu.

Il est terrible le zip, le petit bruit de la fermeture éclair, de la tente du camping des platanes…
14 heures, un homme sort de sa Quechua 2 secondes, les yeux mi-clos pleins de sommeil. Il a veillé tard hier soir pour lutter contre le froid. Un petit « Bonjour », « Salam » …
Il fait quelques pas pour se soulager la vessie contre un platane-WC, puis se dirige vers le platane-salle de bain, saisit sa brosse à dents, quelques gouttes d’eau dans une bouteille, une toilette de chat et le tour est joué ! Il est paré pour partir en mission récupération de victuailles pour le repas du soir.

Il est terrible le zip, le petit bruit de la fermeture éclair de la tente du camping des platanes…
15 heures, Amid le voisin afghan, sort rapidôss, en mode furtif, de sa tente Trigano orange et bleue, carrée, robuste, modèle années 80. La Trigano qu’on a galéré à monter l’année dernière : « Où est l’auvent ? Où est la chambre ? Y’a pas un plan, un mode d’emploi ? Comment dit-on sardine en anglais, traduit en arabe, traduit en pachtoune ? » Galère… Aujourd’hui renforcée de bois de palette et de bâches bleues vertes, elle tient debout. Elle a résisté aux intempéries, aux tempêtes, aux bourrasques, aux trombes, à la grêle, à la neige…
Zip ! Amad sort d’un pas pressé, à toute berzingue. La police nationale est là. Que cache-t-il sous sa cape, l’homme des montagnes ?

Il est terrible le zip, le petit bruit de la fermeture éclair, de la tente du camping des platanes…
16 heures. Amet, tout sourire, claquettes-chaussettes aux pieds, serviette de bain sur l’épaule, savon à la main, part nonchalamment jusqu’à la douche de la Boussole (le centre d’accueil de jour). Vision estivale en plein automne, au son des schploc schploc de ses croquenots dans la gadoue.

Il est terrible le zip, ce petit bruit de la fermeture éclair, de la tente du camping des platanes…
17 heures. Abdoul fait des allers-retours entre sa quatre places et sa terrasse : une énième réparation ne suffira pas. Je lui propose une bâche, en attendant la prochaine récup’ de tente. Il part ensuite au glanage de bois flotté, de bois tombé, de bois abandonné, pour nourrir son petit brasero confectionné dans un bidon de métal. Abdoul est content, il me montre ses papiers : ça y est ! Il est accepté pour l’Asile ! Dix ans. Ça permet de se projeter dix ans… Il peut enfin travailler légalement, sur les chantiers, dans le bâtiment. Abdoul parle le français.

Il est terrible le zip, le petit bruit de la fermeture Éclair, de la tente du camping des platanes…
8 heures 6. Bébert sort une 8.6 de sa tente-frigo. Ici, c’est souvent l’heure de l’apéro.
De 8 heures 6 du mat’ à 8 heures 6 du soir.
Ici, ce sont des montagnes de palettes, qui trônent derrière les fanions brésiliens. Y’a même une niche-cabane en palette pour les chiens. Les chiens c’est la famille, c’est les enfants, c’est la fratrie. Le chien c’est le copain, c’est la bouillotte, c’est bien plus qu’un animal de compagnie qui surveille la parcelle.
Table de camping, fauteuil de camping, arrière-cuisine, jerricans d’eau, repas collectifs. La tribu est organisée, le territoire bien marqué.

Il est terrible le zip, le petit bruit de la fermeture éclair, de la tente du camping des platanes…
11 heures. Magdalena entre dans son abri de fortune.
Ce matin il ne pleut plus alors elle met ses vêtements à sécher. Il ne pleut plus mais l’humidité atteint les 80 % au moins. Heureusement, il y a un peu de vent. Entre deux passes et trois clients, elle vient se réchauffer en enfilant un pull humide. Un petit café chaud à la Boussole, mais pas trop le temps de blaguer avec les copines, il faut retourner turbiner. Ici les clients passent en voiture toute la journée. Il est bientôt 12 heures, l’heure de son habitué.

Il est terrible le zip, le petit bruit de la fermeture éclair, de la tente du camping des platanes…
Trois jours trois nuits qu’on se les caille.
Trois jours trois nuits que Mongo n’est pas sorti de sa tente.
Le légiste place le corps de Mongo sur un chariot à roulettes.
Un chariot comme un caddie qu’on remplirait de nos emplettes pour les fêtes de Noël.

Il est terrible le zip, le bruit de la fermeture éclair, de la bâche mortuaire blanche du camping des platanes…
Dans les journaux on lira demain matin :
« Un homme est mort dans sa tente, de mort naturelle… »
Mais il est mort de la rue, mort de la précarité, mort de l’indifférence… Naturellement.
Il est terrible le zip, le petit bruit de la fermeture Éclair, de la bâche blanche du camping des platanes, ce petit zip qui raisonne encore dans la tête de ses voisines…

Mongo était un de nos premiers voisins, venu habiter en tente en 2022 cours Caffarelli, à Caen. Nous saluons sa femme et ses trois enfants restés au pays.

Il est terrible ce zip, ce petit bruit des paupières des humains qui se referment pour ne pas voir les autres humains…

Chaque hiver, le froid frappe les plus précaires d’entre nous. Chaque année le nombre de morts dans la rue augmente un peu plus en France. Notre quartier de la Presqu’île de Caen, n’est pas épargné.
 
Cette chronique, diffusée à l’occasion de l’émission Radio Radeau du 14 janvier dernier, est un hommage à notre voisin Mongo qui nous a quitté le samedi 28 décembre 2024, et à tous nos voisins et voisines qui survivent en tente sur la Presqu’île.
 
YO du Milieu